Ce que la toponymie nous apprend de l'arrière-pays Grassois

1. La toponymie, qu’es aquo ?
La toponymie est la science des noms de lieux (du grec topos « le lieu » et onoma « le nom ») :
De topos ont dérivé la topographie (science des cartes) ou la topologie (branche des mathématiques étudiant les formes, pour faire simple) ;
D’onoma ont dérivé les onomatopées (catégorie des interjections en linguistique) ou l’onomastique (branche de la lexicologie qui a pour objet l'étude des noms : leur étymologie, leur formation, leur usage à travers les langues et les sociétés).
La toponymie est donc une science à la croisée de la linguistique, de la géographie et de l’Histoire.
Elle étudie les noms des villes, des lieux-dits, des montagnes, des cours d’eau, etc… Ceux-ci sont le résultat d’une occupation des terres par toute une succession de peuplades.

2. Quelles sont les grandes origines linguistiques de la Provence ?
Les noms de lieux de Provence découlent directement de l’origine de ses occupants successifs :
Les formations prélatines, très anciennes :
Dès le Paléolithique, l’Homme a vécu en Provence comme en témoignent les fouilles réalisées dans la Grotte de la Baume Bonne (à Quinson, dans le Verdon) et qui révèlent une présence humaine datant d’il y a 400.000 ans.
Au Néolithique (à partir de -4000 ans avant JC), l’occupation s’est encore intensifiée : l’homme a laissé des gravures (par exemple celles de la vallée des Merveilles dans le Mercantour), des dolmens (comme celui de la Pierre de la Fée à Draguignan) et des mégalithes (par exemple ceux des collines de Mons dans le Var).
Le langage de ces premiers hommes, dit « pré-celtique » a fourni un socle important des noms de lieux.

Les formations grecques :
Vers 600 avant JC, le littoral Provençal a été occupé par les Grecs. Ainsi, Nice découle de « Nikaia » ou Antibes d’ « Antipolis ».
Les formations latines :
A partir de 200 avant JC démarre la conquête romaine : La présence des romains durera jusqu’au Vème Siècle après JC (chute de Rome). De cette longue occupation vient un large héritage linguistique.
Le nom de « Provence » vient d’ailleurs du latin « Provincia » (Pro + Vincere : territoire soumis). L’ensemble des termes latins a fortement contribué aux racines de l’occitan.
La strate germanique :
La Provence a également été l’objet de nombreuses invasions germaniques (Wisigoths, Ostrogoths, …) qui ont laissé quelques noms atypiques pour la région.
Les formations occitanes et provençales :
A partir du Moyen-Age se sont développé l’occitan et le Provençal qui se différencieront vraiment au XVIème Siècle.
A cette période, la religion et l’organisation féodale de la société vont fortement impacter les noms des villes :
L’empreinte religieuse a notamment essaimé un nombre conséquent de village s’appelant « Saint-…. » ou « Sainte-…. » ;
L’organisation féodale se voit encore dans les noms dérivés des « châteaux » (« castel… ») et de leurs « tours » (« tourrettes…. »)

Mais on verra aussi apparaître des noms liés aux caractéristiques des sols, aux exploitations, aux activités industrielles, aux infrastructures ou aux animaux que l’on y rencontre.
3. Déclinaison à l’arrière-pays Grassois
Ainsi, dans l’arrière-pays Grassois, nous retrouvons ces différentes origines :
Les formations prélatines, très anciennes, reflètent le caractère rocheux de l’arrière-pays :
Les racines en Cal-/Car-/Cr-/Kor- désignent la pierre, très présente dans les plateaux calcaires de l’arrière-pays (Calern, Caussols). Elles se retrouvent aussi dans le Cheiron, Courmes, Coursegoules, Caille, Escragnolles et Gourdon.
Les racines en Tar-/Tor-/Tur- ont par exemple donné Thorenc et évoquent « la pierre, le rocher ».
De nombreuses racines désignent les hauteurs : Sar- a par exemple donné Séranon
« Bau » ou « Baou » dérivent du préceltique « bal » qui signifie « escarpement » : on reconnaitra ainsi l’origine du massif du Bauroux (longue barre rocheuse) mais aussi les Baous, immenses pitons rocheux de l’arrière-pays Niçois (baou de St Jeannet, Baou des Blancs, etc…).

Les formations latines :
Cipières évoque une marque de jalonnement sur une route antique : Ce nom dérive du latin « cipparia » qui signifie « stèle marquant une limite ou une borne »
Certains domaines privés se sont appelés du nom de leur propriétaire romain : ainsi « Crassus » a donné Grasse.

Les formations plus récentes, datant du Moyen Age :
« Tourrettes » dérive des « tours » des chateaux seigneuriaux : D’où Tourrettes-Sur-Loup dans les Alpes Maritimes ou Tourrettes dans le Pays de Fayence.
La présence de chateaux se révèle aussi au travers des racines « château » ou « castel ». Par exemple avec le « Castellaras » de Thorenc ou dans les Alpes de Haute Provence « Castellane ». La clue de « Tracastel » dérive du préfixe provençal « tra-» qui signifie « entre, parmi » et de « castel » qui évoque peut-être au lieu de château les immenses parois rocheuses qui bordent l’Estéron.
L’imprégnation religieuse chrétienne du territoire se révèle au travers une multitude de nom de lieux et de villes commençant par « Saint » :
Le plateau de Saint-Barnabé
Saint-Vallier-de-Thiey : « Vallier » dérivant de « Valerius », premier évêque d’Antibes au Vème Siècle.
Saint-Auban : « Auban » dérivant de « Albanus », martyr anglais du IIIème Siècle.
Certains noms de lieux résultent des noms des animaux qui s’y trouvent :
Gréolières vient ainsi du latin « graulus » (la corneille) + « arias » suffixe fréquentatif. Gréolières est donc un « endroit où il y a des corneilles ».
Si ce sujet vous a intéressé, nous vous recommandons la lecture du livre « Toponymie Provençale » de Bénédicte Fénié, qui a servi de base à cet article.